Eszter Zsarnóci : Un problème temporel (3e prix)

Eszter Zsarnóci

Un problème temporel

Je l’ai mis dans ma poche. Je veux la déchirer en mille morceaux, mais je ne veux pas la prendre en main, la revoir encore une fois. C’est la plus grande faute de ma vie. Si seulement je pouvais l’oublier! Mais je ne suis pas capable de penser à rien d’autre.

Je ne peux pas aller à la maison. Ils m’attendent là, mes parents, ils vont me demander, et je devrais la leur montrer. Je peux imaginer leur déception.

Donc, je ne rentre pas. Je tourne dans une autre direction - vers quoi, ça ne m’intéresse pas. Mon sort est décidé, je sais. Je n’ai pas peur du monde. Je dois trouver une nouvelle place où je peux vivre.

La ville grouille de vie, il y a des gens partout, mais je me semble seule. Je suis perdue, et je commence à être alarmés. Qu’est-ce que j’ai fait ? C’était une décision bête! Je ne connais pas les rues, les magasins, les chiens.

Et soudain, il y a cet homme qui vient vers moi. Je le regarde longuement en silence, parce qu’il a l’aspect bizarre. Ce que je remarque le plus, c’est qu’il a une grande ecchymose sur son visage.

-Tu es perdue? - demande-il avec un voix rauque.

-Non - je répond immédiatement. Je n’ai pas confiance en des étrangers. Il ne me semble pas dangereux, mais pour la sécurité, je prépare de prendre en main mon parapluie, si c’est nécessaire. Il est âgé et fragile. Je pourrais courir aussi.

Il me regarde avec du calme et de la patience d’un adulte.

-Ça va bien, petite? - et c’est tout. Je commence à pleurer - Mais qu’est-ce qui ne va pas?

-Tout va bien - je renifle. Un mensonge évident.

-Tu ne dois pas me le dire. Moi aussi, je suis assez succinct. Je n’aime pas parler de mes problèmes, mais de temps en temps, ça pourrait être utile de les rappeler.

-C’est l’école – j’avoue finalement.

-L’école? Mais l’école va passer. Tous les problèmes concernant l’école sont des problèmes temporels. Et ils ne comptent pas vraiment dans la vie, tu vas voir. Cette chose qui te dérange maintenant, tu l’oublieras – ses mots me calment. S’il a raison, je peux rentrer.

-Et ton problème? - je demande curieusement - Ton problème est temporel aussi? - je regarde la bouteille dans sa main, et il suit mon regard.

-Je ne sais pas. Ma situation est un peu plus difficile que la tienne. Une fois je suis sûr que tout ira bien, tout va rendre dans l’ordre. Je suis déterminé, confiant – je crois en moi, je crois qu’il est possible de le quitter. D’autre fois, c’est le point le plus bas pour moi. Il n’y a pas de lumière, d’espoir. Il fait froid, et je suis désespéré et irascible. Parfois, dans ma conscience, je suis sûr que mon destin est déjà décidé, mais mon coeur est plus tenace, il croit maintenant aussi, qu’un jour, tout va changer. C’est pourquoi je ne sais pas. Je balance entre la permanence et la temporalité - il finit son monologue avec un grand soupir.

-Je ne pense pas que tu sois succinct - je dis. Il éclate de rire.

-Tu es spéciale, tu vois. Avec toi, j’avais la loghorrée.

-Je suis perdue. Est-ce que tu peux m’aider à trouver le chemin qui mène chez moi? – il me sourit, mais ses yeux restent tristes.

Il ne peut pas m’aider parce qu’il ne connaît pas la location de ma maison, et il n’a pas de portable. Je lui dis au revoir, et je demande de l’aide à une femme inconnue.

Je rentre, et je montre à mes parents ma dictée terrible.

2022.06.03.